Pistes sur les origines possibles de l'instrument

monocorde, tambour à corde(s), trompettte marine

Portraits de l'instrument au fil du temps

du XVème siècle au XVIIIème siècle

HISTOIRE

Portraits de l'instrument au cours du temps

du XVème siècle au XVIIIème siècle

Détail des peintures des voûtes de l'église de Tierp en Suède, vers 1470 (photo Jean-François Mazet)

D'aucuns voient dans cette représentation un joueur de clavicorde, instrument à clavier et possédant une série de cordes tendues transversalement et parallèles à la table. On notera pourtant que la main gauche de l'ange n'est pas sur ce qui pourrait être le clavier dudit clavicorde, mais est nettement sur le début des cordes (qui seraient alors les bourdons, s'il s'agit bien d'une cithare sur caisse - le clavier serait en fait la touche frettée au dessus de laquelle se trouve la (ou les) chanterelle(s). Bien sûr, il faut garder en mémoire que les artistes peintres n'étaient probablement ni musiciens ni spécialistes des instruments de musique de leur époque et de leur utilisation. Comme éléments de comparaison, voir ci-dessous quelques représentations de la même époque d'anges indubitablement joueurs de clavicordes; à chaque fois, les deux mains sont bien positionnées sur le clavier. Le mystère demeure donc, mais je tends personnellement à penser - comme Stig Walin, l'auteur de "Die Schwedische Hummel", Stockholm, 1952 - qu'il s'agit bien là d'une cithare. On serait alors en présence de la première représentation d'une épinette ou d'un hummel.

Église de Tierp, Suède

Ange musicien, vers 1470

Détail des peintures des voûtes de la chapelle basse de la collégiale de Saint-Bonnet-l- Château, début du XVème siècle (photo: jean-François Claustre).

Église St Mary, Shrewsbury (Grande Bretagne), XVème siècle (photo Groenling).

Détail d'un vitrail de la Collégiale St Mary à Warwick (Grande-Bretagne), XVème siècle (photo Groenling).

Les cinq anges musiciens peints sur les voûtes de l'église de Tierp (Tierps kyrkan, Suède) (photos Jean-François Mazet et Erika Aspeby)

cliquer sur la première image de la galerie pour visualiser en diaporama plein-écran

Dessin Sverre Jensen (repris de "Leve langeleiken!", Ringve Museum, 1987).

Langeleik portant 'inscription ANO 1524 gravée sur le chevillier (photo Valldres museum, Norvège, repris de Aksdal et Kvaerne: "Langeleiken - heile Noregs instrument", Novus, 2021).

Le plus ancien langeleik conservé

Collection particulière Norvège, Vardal, 1524

Cet instrument est gravé ANO 1524. Aucune étude scientifique n'a été menée, mais il semble assez vraisemblable que cette date soit la date de fabrication (ou d'acquisition) de cette cithare; dans les deux cas, elle remonterait au moins à 1524; on ne voit pas pourquoi cette date aurait été inscrite à une époque plus récente. Il s'agit donc probablement du plus ancien instrument du type de ceux qui font l'objet de ce site (cithare sur caisse, à bourdon et à touche frettée).

Église de Rynkeby, Danemark, vers 1560, repris de https://www.rynkeby-revninge.dk/rynkebygalleri

La troisième occurrence d'un instrument de type épinette se trouve encore une fois en Scandinavie, plus au sud : au Danemark, vers 1560, sous la forme d'un ange musicien qui joue de son instrument en compagnie de trente autres de ses semblables. Il Il s'agit de la peinture des voûtes d'un chapelle de l'église de Rynkeby. On croit distinguer des frettes, qui s'étendraient sur toute la largeur de l'instrument, et trois cordes. La position des mains et des doigts correspond à une technique possible de jeu d'une épinette. Il est donc certain qu'il s'agit bien là d'un représentant de la famille d'instruments qui nous intéresse. 

Église de Rynkeby, Danemark

Ange musicien, vers 1560

Bas-relief sur bois de chêne, Vers 1600, Schleswig, Schleswig-Holsteinisches Landesmuseum, Inv.-Nr. 1969-824 repris de http://www.studia-instrumentorum.de/MUSEUM/zithern.htm

Schleswig, Allemagne

Bas-relief sur bois, vers 1600

Une autre représentation se trouve encore un peu plus au sud, dans le Schleswig, partie de l'Allemagne frontalière avec le Danemark. Il s'agit du détail d'un bas-relief sur bois illustrant la parabole du fils prodigue. Une femme tient de la main gauche un objet allongé et de forme rectangulaire, terminé,  par une sorte de renflement qui pourrait bien correspondre à un chevillier. On a bien envie d'y voir une sorte d'épinette ou de Scheitholt, ou au moins un monocorde fretté; la main droite pourrait tenir une sorte de plectre. Toutefois, la façon dont l'instrument est tenu ne plaide pas en faveur d'une épinette, et si les traits transversaux ne sont pas des frettes (stylisées) mais de simples éléments de décor, on pourrait alors plutôt voir un tambour monocorde (?) Le doute subsiste donc !

Un instrument de type épinette conservé au

Rijksmuseum - cote BK-NM-5149

Amsterdam, 1608

Il s'agit de l'instrument référencé C1 pages 35, 36 et 74 dans Boone ("De hommel in de lage landen", 1976) et page 132 dans Ulrich ("Die Hummel - Geschichte eines Volksmusik-Instrumentes", 2011) indiqué dans les deux cas comme étant conservé au Gemeentemuseum de La Haye (sous le numéro d'inventaire MUZ-1952-0171). Cet instrument est maintenant à Amsterdam (objet référencé BK-NM-5149).  Il figure aussi dans Walin ("Die Schwedische Hummel", 1952) figure 59 référencé VG 19.  Malheureusement les photos de l'instrument dans ces trois ouvrages sont médiocres, en noir et blanc et de très petit format, bref, on n'y voit pas grand chose. Voici des photos de l'instrument, telle qu'elles figurent sur le site du Rijksmuseum d'Amsterdam.                                                                                                                                

C'est un instrument monoxyle (taillé dans une seule pièce de bois) en chêne d'une longueur totale de 84 cm et de 6 cm de large. Le corps est un parallélépipède sans fond, de 6 cm de largeur sur 6 cm de hauteur et d'une longueur de 70 cm. Le diapason (la distance entre les deux sillets) est de 67 cm. La table est percée d'une ouïe unique circulaire. Le cheviller est ouvert et pourvu d'une volute rudimentaire. Une seule cheville d'accordage est conservée, l'instrument possédait trois cordes.

L'instrument possède 18 frettes en fil métallique disposées intervalles irréguliers formant une touche diatonique sur une portion de la table, mais trois frettes - la première, la  troisième et la septième - sont plus longues et s'étendent sur toute la largeur de la table.

Sur l'un des côtés, la mention "ANNO 1608" est gravé, et on peut raisonnablement supposer que cette inscription est d'origine et  qu'il s'agit donc de l'année de fabrication.

Il est intéressant de remarquer que les trois frettes plus longues, et surtout la troisième et la septième,  permettent un jeu plus riche puisqu'on peut former au besoin quelques accords si on utilise les doigts de la main gauche, en montant une des cordes "bourdons" à la quarte ou à l'octave dans certaines  parties d'une mélodie (en utilisant un doigt pour modifier la hauteur du bourdon et les autres pour poursuivre la mélodie sur la touche).

cliquer l'image pour visualiser en plein-écran

Michaël Prætorius C.

Syntagma Musicum

Wolffenbüttel, 1619 / 1620, page 57 et planche XXI

Traduction :

Le chapitre XXXIII.

Bûche

(dans Sciagraphia, Col. XXI.)

Bien que cet instrument doive être à juste raison classé parmi les instruments des gueux : j'ai tout de même voulu, du fait qu'il soit très peu connu, le décrire en détails ici. Et il n'est pas très différent d'une bûche ou d'un bout de bois car il est fait, tel un petit monocorde, de trois ou quatre planchettes minces très mal assemblées, avec un petit col en haut comprenant trois ou quatre chevilles reliées à trois ou quatre cordes en laiton dont trois sont élevées à l'unisson, mais l'une d'elles, qui doit résonner une quinte plus haut, au milieu est maintenue vers le bas à l'aide d'un petit crochet. Et si on veut, la quatrième corde peut être ajoutée à l'octave supérieur. On gratte continuellement l'ensemble des cordes avec le pouce de la main droite en bas au niveau du chevalet : et sur les cordes les plus à l'avant, on déplace un bâtonnet lisse tenu dans la main gauche de temps à autre ce qui crée la mélodie du chant sur les frettes en fil de laiton plantés.(Traduction de Jean-François Mazet)

Transcription de l'original :

"Obwohl dieses Instrument billich unter die LumpenInstrumenta referieret werden sollte : So habe ich doch dasselbe / Weil es wenigen bekant / in etwas allhier deliniieren wollen. Und ist eim Scheit / oder Stückeholz nicht gar sehr ungleich /denn es fast wie ein klein Monochordum von drey oder vier dünnen Bretterlein gar schlecht zusammen gefügt / oben mit eim kleinen Kragen / dorinnen drey oder vier Wirbel stecken / mit 3. oder 4. Messingssaiten bezogen ; darunter drey in unisono uffgezogen / die eine aber unter denselben / in der mitten mit eim Häcklin / also / daß sie umb eine Quint höher resonieren muß / niedergezwungen wird : Und so man wil / kan die vierdte Saite umb eine Octav höher hinzugetan werden. Es wird aber uber alle diese Saiten unten am Stäige mit dem rechten Daumen allezeit uberher geschrumpet : und mit eim kleinen glatten Stöcklin in der linken Hand uff der fördersten Saitten hin und wieder gezogen / dadurch die Melodey des Gesanges uber die Bünde /so von Messingen Droht eingeschlagen sind / zuwege gebracht wird."

On peut consulter l'ensemble du volume 2 Syntagma Musicum (1619) et du Theatrum instrumentorum (1620) ici

Sur l'illustration, il semble que les frettes s'étendent sur toute la largeur de la table ou presque. Ce n'est pas mentionné dans le texte, et ce n'est pas le cas des plus anciens instruments retrouvés, pourtant contemporains de ce texte. Dans l'instrument conservé au Rijksmuseum d'Amsterdam (voir ici), seule trois frettes, probablement choisies à dessein, s'étendent sur toute la largeur de la table. De plus, le corps de l'instrument d'Amsterdam, pourtant contemporain de la description de  Prætorius, n'est pas fait d'un assemblage de planchettes de bois mais est monoxyle, c'est-à-dire taillé dans une seule pièce de bois.

La première description de l'instrument est celle du compositeur, organiste et théoricien de la musique Michaël Prætorius dans son ouvrage Syntagma Musicum. Cette description est complétée par une gravure. L'instrument est désigné sous le nom de Scheitholt dans le texte de la description, Scheidtholtt sur la planche de gravure et Scheitholz à l'index II page 225.

Peintre (hollandais - Leiden?) non identifié

Femme jouant de la bûche de Flandres

Photographie d'un tableau - Fonds Albert Pomme de Mirimonde, Bibliothèque Nationale de France BNF

le tableau (huile sur panneau de bois 36 cm x 28 cm) probablement peint à Leyde (Leiden) indique la date de 1668

Source : gallica, BMF, voir ici.

Recto de la photographie

Détail grossi à la loupe, on voit la date de 1668 sur le papier au premier plan en bas de l'image

Le tableau pris en photo n'a pas encore pu être localisé. C'est une huile sur bois de  petite taille, 36,5 x 28 cm. Il faisait partie de la collection de l'ingénieur J.G. Schlingemann habitant La Haye ('s-Gravenhage ou Den Haag) aux Pays-Bas qui l'avait probablement acheté à Amsterdam en 1910 (voir l'extrait du catalogue de cette vente ci-dessous). Cette collection a malheureusement été vendue et dispersée. Le peintre, pour l'instant non-identifié, serait un artiste actif à Leyde (Leiden en néerlandais) dans la deuxième moitié du XVIIème siècle. La photo que j'ai pu observer à la BNF Richelieu à Paris, provient de  la collection de photographies et de gravures d'instruments de musique d'Albert Pomme de Mirimonde (décédé en 1985), qui a écrit plusieurs livres sur les  instruments de musique.

Le papier plié devant l'instrument est une lettre pliée (la lettre elle-même constituant l'enveloppe - usage normal au 17ème siècle) qui indique deux noms, probablement le destinataire (D. E. Jan Nannisen) et l'expéditeur (Co Reijp). Elle vient d'être écrite et n'est pas encore cachetée.

Il s'agit d'une représentation exceptionnelle de "bûche des Flandres" ou de "hommel", joué ici au noteur à la main gauche et avec une baguette percussive à la main droite frappant les cordes, un peu à la façon d'un tympanon.

Extrait de la page 58 d'un catalogue de vente aux enchère de tableaux anciens à Amsterdam le 22 novembre 1910. Le tableau y est décrit assez précisément. L'attribution à P. Wouthers semble fantaisiste, je n'ai retrouvé aucun peintre du siècle d'or hollandais portant ce nom, voir l'ensemble du catalogue ici.

Hommel (épinette) bien visible sur une peinture en trompe-l'œil de Gerard de Lairesse sur les volets de l'orgue de la Westerkerk d'Amsterdam

1686

Détail : le chevillier du hommel est malheureusement cachée par le violon. Photo JF Mazet.

Le hommel se trouve sur le volet de droite, sur le deuxième groupe à partir de la droite. Photo JF Mazet.

Gerard de Lairesse a représenté vingt-quatre "bouquets" d'instruments sur l'intérieur des volets des petites orgues. De nombreux instruments sont représentés en taille réelle, et parmi ceux-ci, une épinette ou hommel, pourvue d'un décoration en lacet sinueux sur tout le bord de la table. On voit particulièrement bien la fin de la large touche frettée et le talon (cordier) de l'instrument.

Traduction :

XIV.

Des Poutres Nordiques

Les Poutres Nordiques sont des instruments parallélépipédiques creux, de deux à trois pieds de long / et parfois plus longs / ou plus courts ; ils sont pourvus de trois à quatre cordes:; un peigne [sillet] se trouve à chaque extrémité sur lesquelles les cordes sont tendues; les notes sont définies par des agrafes de cuivre / placés /sous les cordes / de cette manière ; mettons que la corde la plus proche soit un DO, alors on partage la corde entre les peignes en deux parties égales / c'est-à-dire juste au milieu / et c'est le deuxième DO;

Partage ensuite depuis le peigne [sillet] du bas jusqu'à celui du haut en trois parties égales / et considère la partie du bas vers le haut / c'est un SOL.

Partage encore ensuite du bas vers le haut en quatre parties égales / et considère une partie du bas vers le haut / c'est un FA.

Enfin continue de la même façon avec cette corde comme indiqué à la page 23 de la première partie.

Les demi-tons ne sont pas inclus / ce n'est en effet qu'un instrument très simple. (Peu d'art peut en être tiré) Il ne peut pas produire beaucoup d'art ; Les voix ne sont jouées que sur la corde la plus proche / les autres ayant toujours le même son / et fournissent un semblant de basse;

Certains en jouent à l'aide de deux bâtonnets / grattant les cordes avec l'un / et glissant l'autre le long de la corde la plus proche au dessus des notes : d'autres frotte les cordes avec un archet / et glisse l'ongle du pouce gauche sur la corde la plus proche au dessus des tons / et jouent ainsi les voix. (Tradution de Jean-François Mazet)

Transcription de l'original :

"De Noordsche Balken zijn holle vierkantige instrumenten, van twee of drie voeten lang / en ook wel langer / of korter ; worden met drie of vier snaaren besnaard ; Tot elk eindt is een kam / daar de snaaren over gespannen worden; de toonen worden met koperen krampen / onder de snaaren / daar op gezet / op deze maniere ; laat de voorste snaare zijn toon zijn C, zoo deelt de snaare tusschen de kammen in twee gelijke deelen / dat is recht in 't midden / zoo is dat de tweede C.

Deelt voort van de onderste kam tot de bovenste in drie gelijke deelen / en zet een deel van onder naar boven /soo is dat G ;

Deelt al voort van onder to boven in vier gelijke deelen / en zet een deel van onder na boven / soo is dat F,

Ende doet voorts gelijk met de eene snaare in het eerste deel fol: 23. geleert is.:

De ingevoegde semi toonen worden daar niet op gezet / alsoo het maar een zeer eenvoudig Instrument is, daar niet veel konst op kan gedaan worden ; de voijsen worden alleen op de voorste snaare gespeelt / de andere hebben altijdt het selfve geluidt / en verstrekken quansuis voor Bas;

Het speelen wort van sommige gedaan met twee pennetjes / met de eene schrabbense over de snaaren / en met de andere strijkkense langs de voorste snaare over de toonen : Anderen strijken met een strijkstok op de snaaren / ende met de nagel van den linker duim strijkense op de voorste snaare over de toonen / en speelen alsoo de voysen."

On peut consulter l'ensemble du Grondig ondersoek van de toonen der Musijk ici

En 1699, l'organiste et maître d'école de Tzum (dans la province néerlandaise de la Frise) fait paraître son ouvrage Grondig ondersoek van de toonen der Musijk (qu'on peut traduire par : recherche fondamentale sur les tons de la musique), décrit beaucoup d'instruments de musique, dont un qui correspond aux cithares qui nous intéressent sur ce site : la Noordsche Balk (Poutre Nordique). La description qu'en donne Douwes, contrairement à celle de Prætorius, correspond mieux à l'instrument de 1608 conservé à Amsterdam.

Claas Douwes

Grondig ondersoek van de toonen der Musijk

Franeker, 1699, pages 118 et 119

Denis Diderot et Jean-Baptiste Le Rond D'Alembert

Supplément à l'encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Tome 2

Amsterdam, 1776, page 76

&

Suite du recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux, et les arts méchaniques, avec leur explication

Paris, Amsterdam, 1777, planche 4 de la section Luthier

Transcription :

"BUCHE, f. f. (Luth.) Ne trouvant nulle part le nom d'un instrument très-peu connu, appellé en Allemand Scheid-holz, je l'ai traduit littéralement, en quoi j'ai été en quelque façon autorisé par la figure de cet instrument qui consiste en une caisse longue, tantôt quarrée &t tantôt triangulaire, ressemblant assez à une buche. Sur la table de cet instrument sont tendues trois cordes de laiton par le moyen d'autant de chevilles; ces cordes se mettent à l'unisson, & ensuite on en fixe une par un petit crochet, ensorte que la partie entre le chevalet & ce crochet sonne la quinte au-dessus des deux autres. Quelquefois on ajoute une quatrième corde à l'octave. Pour jouer de cet instrument, on touche toutes les cordes à la fois avec le pouce de la main droite, tandis qu'on produit le chant en promenant de la main gauche un petit bâton poli sur la corde la plus haute, la partie de l'instrument qui sert de manche étant divisée par des touches, comme les manches des guitarres. Voyez fig. 5, planche I de Luth, dans ce Suppl. (F. D. C.)" [la référence est erronée: il s'agit en fait de la fig. 6 de la planche 4].

Extrait de la page 57 du tome 2 du Supplément à l'encyclopédie, 1776

On peut consulter ici l'ensemble du tome 2 du Supplément

Extrait de la planche 4 du recueil de planches du Supplément à l'encyclopédie, 1977

On peut consulter ici l'ensemble du recueil de planches

L' encyclopédiste puise ses renseignements directement dans l'ouvrage de Prætorius, datant à l'époque de près de 160 ans! Il est d'ailleurs probable qu'il n'ait jamais vu ni entendu cet instrument, puisqu'il dit ne pas en connaître le nom. Cela démontre la méconnaissance totale de la classe dominante cultivée de la France de l'Ancien Régime pour les us et coutumes des classes sociales inférieures, petit peuple des villes et paysans.

À la page 857 du quatrième tome du Supplément à l'encyclopédie (1777) figure une entrée au mot "Symphonie", dont Diderot indique qu'il pourrait s'agir de la version italienne (Toscane) et ancienne de la bûche ou Scheitholt. Il se réfère à une description de Gioseffo Zarlino dans ses"Istitutioni harmoniche" publiées en 1589 :

"Suivant sa description [celle de Zarlino] c'étoit une espece de caisse sur laquelle étoient tendues des cordes à la quarte, à la quinte & à l'octave; on faisoit continuellement raisonner les trois cordes les plus graves, tandis qu'on exécutoit un air convenable sur la corde la plus aiguë. [...] Au reste, la symphonie de Zarlin paroit n'être autre chose que l'instrument que nous avons nommé buche.Voyez BUCHE. (Luth.) Suppl. (F. D. C.)"

L'encyclopédiste se trompe manifestement puisque la "sinfonia" que cite Zarlino désigne à une vielle à roue. Et en allant voir à la source à laquelle se réfère Zarlino, l'ouvrage d'Otttomaro Luscinio de 1536, on s'aperçoit en effet que la "lira" ou "lyra" en question est sans contest une vielle à roue, puisqu'elle y est clairement représenté (voir ci-dessous l'original de Zarlino et celui d'Ottomaro Luscinio). Dans la suite de son texte, Zarlino décrit bien un instrument possédant des cordes tendues sur une caisse, mais il le nomme "Altobasso", et c'est en fait un tambour à cordes du type de ceux qu'on trouve au Pays Basque ou en Béarn et qui accompagne une mélodie jouée à une main sur une flûte à trois trous.

On peut consulter ici l'ensemble du tome 4 du Supplément ``a l'encyclopédie

On peut consulter ici "Le Istitutioni harmoniche" de Zarlino

On peut consulter ici "Musurgia seu praxis musicæ" d'Ottomaro Luscinio, 1536 Le Istitutioni harmoniche" de Zarlino

Le monocorde médiéval

Codex Lat. 51, f°35v, XIIème siècle. Coll. Österreischiche Nationalbibliothek. Micrologus: Guido d'Arezzo et l'évêque Théobald autour du monocorde.

Boèce, détail du CUL Ms. Ii.3.12, f°61v (détail), Cambridge University Library, XIIème siècle,

Psautier de Werden, détail du f°1v (détail), Ms. Theol. Lat. Fol. 358. Staatsbibliothek Preußicher Kulturbesitz, Berlin. Première moitié du XIème siècle.

En plus, le monocorde partage quelques caractéristiques avec les cithares qui font l'objet de ce site : une boîte en bois, sur laquelle est tendue une corde, mais les similarités s'arrêtent là. Outre le fait qu'il n'y ait qu'une seule corde (en général) sur les monocordes, ceux-ci ne possèdent pas de frettes. Voici comment le décrit Christian Meyer au début de son ouvrage "Mensura monocordi" (1996) dans lequel il analyse l'ensemble des textes médiévaux relatifs au monocorde et à sa division :

"Le monocorde est une caisse de résonance allongée sur laquelle se trouve tendue une corde. Celle-ci repose en ses extrémités sur deux chevalets fixes. Un troisième chevalet, mobile, glissé sous la corde, determine la portion de corde mise en vibration." [...] Les repères pour placer le chevalet mobile étaient, le plus souvent, gravés directement sur la table." Selon certains auteurs, "on commençait toutefois par tracer, à une once de distance, une ligne parallèle à celle qui relie les deux chevalets. Les graduations étaient alors portées dans l'espace ainsi réservé entre ces deux lignes parallèles. "

En fonction de la complexité de l'échelle considérée (diatonique, chromatique, enharmonique), le nombre de ces lignes parallèles tracées sur la table d'un chevalet à l'autre pouvait aller jusqu'à sept, équidistantes, définissant six bandes. 

"Certains textes enfin, à la suite de Boèce (De inst. mus. IV, 5), suggèrent que les graduations étaient portées sur une règle d'une longueur égale à la totalité de la corde vibrante".

Jean-Loup Baly, du groupe Mélusine, vers 1976

Petrus Comestor, BSB CLM 2599, f°96v, (détail), XIIIème siècle, Munich, Bayerische Staatsbibliothek.

Psalterium triplex, MS B.18 f°1r (détail), début du XIIème siècle, St John's College, Cambridge

Il semble aussi qu'il n'était pas anormal d'utiliser le terme de monocorde pour des instruments qui possédaient deux cordes ou même plus, si ces cordes étaient accordées à l'unisson. L'auteur du "Quatuor principalis" (vers 1350) (CS IV, 208) recommande l'utilisation d'un monocorde à deux cordes. Jean de Muris (1290-1351), GS III, 252) va même jusqu'à autoriser quatre cordes au monocorde. Le Père Marin Mersenne indique en 1636 : "[...]quelque nombre de chordes qu'il puisse avoir, car le nombre des chordes n'empesche pas que l'on ne l'appelle Monochorde, par ce qu'elles sont toutes à l'unisson [...]"

Le monocorde médiéval est l'archétype évident de la trompette marine (souvent appelé "monocorde" jusqu'au XVIIème siècle), du tambour à corde et des cithares de type Scheitholt. Ces instruments, du fait de cette ascendance commune, sont donc frères et sœur ou au moins cousins et cousine.

On est tenté de voir l'origine du Scheitholt, et donc de nos instruments de type "épinette" - nos cithares à touche sur caisse et éventuellement à bourdons - dans le monocorde antique de Pythagore, et surtout dans le monocorde médiéval de Boèce. Praetorius, en 1619, compare déjà le "Scheitholt" à un petit monocorde. Et c'est vrai que le monocorde médiéval dont plusieurs description nous sont parvenues, ainsi que plusieurs représentations, ressemble fort à un "Scheitholt". En plus, les joueurs de monocordes tel que représentés dans les manuscrits médiévaux des XIème au XVème siècles font fortement penser à des joueurs de dulcimers ou d'épinettes folk des années 1970.

Un des 26 anges musiciens du cloître de Himmelkron en Allemagne, XVème siècle.

L'instrument semble, d'après les traités en latin, essentiellement utilisé à des fins d'étude de la science musicale. Pourtant, on trouve dès le XIème siècle, quelques illustrations représentant un joueur de monocorde en compagnie d'autres musiciens. On peut penser que l'instrument n'était peut-être pas seulement utilisé dans un but de recherche, mais aussi pour faire de la musique en compagnie d'autres instruments. Bien sûr, il faut être prudent en interprétant des images aussi ancienne, dont certains codes nous échappent sans doute; on pourrait par exemple penser que la présence du monocorde dans ces illustrations n'est que symbolique, pour rappeler que la musique est une science et pas uniquement un divertissement. C'est bien possible. Toutefois, en plus de ces quelques miniatures représentant des ensembles musicaux incluant un joueur de monocorde, on trouve chez les troubadours et trouvères du XIème au XIIIème siècles, et aussi chez Guillaume de Machaut au XIVème siècle, des mentions fréquentes du monocorde dans des listes plus ou moins longues d'instruments de musique.

Extrait de "la Prise d'Alexandrie"

(Guillaume de Machaut, XIVème siècle)

Là avoit de tous instrumens.

Et s'aucuns me disoit : "Tu mens ",

Je vous diray les propres noms

Qu'ils avoient et les seurnoms,

Au meins ceuls dont j'ay congnoissance,

se faire le puis sans ventance.

Et de tous instrumens le roy

Diray premiers, si com je croy.

Orgues, vielles, micanons,

rubebes et psalterions,

Leüs, moraches et guiternes,

Dont on joue par ces tavernes,

Cymbales, citoles, naquaires,

Et de flaios plus de X. paires,

C'est à dire de XX. manières,

Tant de fortes com des legieres,

Cors sarrasinois et doussaines,

tabours, flaüstes traverseinnes,

demi doussainnes et flaüstes,

Trompes, buisines et trompettes,

Guigues, rotes, harpes, chevrettes,

Cornemuses et chalemelles,

Muses d'Aussay, riches et belles,

et les fretiaus, et monocorde,

Qui à tous instrumens s'acorde,

Muse de blé qu'on prend en terre,

Trepié, l'eschaquier d'Engleterre,

Chifonie, flaios de saus.

Extrait de "le temps pastour"

(Guillaume de Machaut, XIVème siècle)

Mais qui véist après mangier

venir menestreux sans dangier,

Pignez et mis en pure corps.

Là furent meints divers accors,

car je vis là tout en un cerne

Viole, rubebe, guiterne,

L'enmorache, le micamon,

Citole et le psaltérion,

harpes, tabours, trompes, nacaires,

Orgues, cornes plus de dix paires,

Cornemuses, flajos et chevrettes,

Douceines, simbales, clochettes,

Tymbre, la flaüste brehaingne

Et le grant cornet d'Allemaingne,

Flaios de saus, fistule, pipe,

Muse d'Aussay, trompe petite,

Busine, èles, monocorde

Où il n'a qu'une seule corde,

Et muse de blet, tout ensamble;

Et certainement il me samble

Qu'onques mais tele melodie

Ne fut onques véue ne oye.

car chascuns d'eus selonc l'acort

De son instrument sans descort,

Viole, guiterne, citole,

harpe, trompe, corne, flajole,

Pipe, souffle, muse, naquaire,

taboure, et quanque on puet faire,

De dois, de pennes et de l'archet,

Oïs et vis en ce parchet.

On le trouve aussi par exemple parmi les 26 anges musiciens sculptés du monastère de Himmelkron (XVème siècle). On pouvait donc jouer des mélodies sur le monocorde, et il pouvait être associé à des ensemble musicaux.

Ulm, Reichenauerhof, Minnesägersaal, entre 1370 et 1380, photo Wilfried Praet

Un des 18 anges musiciens de la crypte de la cathédrale de Bayeux, vers 1412, photo Lavieb-Aile

Détail d'une peinture au dos du volet gauche de de l'autrel de la Brüdernkirche à Brauschweig, vers 1410, photo Wilfried Ulrich, repris de son livre "Die Hummel", 2011

Détail d'une peinture du f°156r, Ms M.8, 1511, The Morgan Library & Museum

Un des 47 anges musiciens des voûtes de la cathédrale du Mans, fin XIVème siècle.

Le tambour à corde(s)

Détail du folio 65r du manuscrit "Français 1654" de la BNF, vers 1475-1480.

Cet instrument est parfois appelé monocorde, ou tambour monocorde. Il a selon les époques et les régions, une, deux ou trois cordes, voire plus. Il est l'ancêtre du tambourin à cordes (ttun ttun, tom tom, salterio, chicotén etc.)dont le jeu est souvent couplé à celui de la flûte à une main en Béarn, en Gascogne, au Pays-Basque (français et espagnol), en Aragon (Espagne). Il s'agit bien d'une cithare, qui possède des caractéristiques communes avec nos épinettes ou Scheitholt : caisse parallélépipédique allongée, cordes tendues parallèlement à la table, parfois la présence d'une ou plusieurs ouïes. Par contre, il n'y a a pas de touche (et donc encore moins de frette). Le tambour à cordes médiéval pourrait un des chaînons - une des étapes - qui mènera à nos épinettes et instruments apparentés.

Robert Fludd, "De macrocosmi historia", Francfort, seconde édition, 1624. Noter les repères pour la division de la cordes qui forme une échelle diatonique identique à celle des Scheitholt et autres épinettes.

La trompette marine

Hans Meemling, 1489, détail, Musée royal des Beaux-Arts d'Anvers (Belgique), jeu à l'archet sur les harmoniques.

Un des 26 anges musiciens du cloître de Himmelkron en Allemagne, XVème siècle.. Jeu à l'archet faisant sonner les harmoniques.

Détail d'une peinture du f°287r, Ms M.8, 1511, The Morgan Library & Museum. Jeu à l'archet sur les harmoniques.

Planche LXI du "Cabinetto armonico pieno d'istromenti sonori" de Filippo Bonnani, Giorgio Placho (graveur), 1722. Jeu à l'archet mais comme une basse.

Giovanni Battista Braccelli, vers 1625-1630, jeu à l'archet sur les harmoniques.

La trompette marine ("Trumscheit" en allemand) ou tromba marina est souvent appelée monocorde, bien qu'elle puisse comporter deux voire trois cordes. Elle a un air de ressemblance avec le "Scheitholt" mais en diffère essentiellement pas l'absence de frettes, et un jeu (le plus souvent) à l'archet qui fait sonner les harmoniques de la cordes: le doigt ne presse pas la corde mais la touche, et elle est mise en vibration entre le chevillier et la position du doigt définissant la division de la corde, c'est donc la position inverse de celle que l'on adopte en jouer des cithares de type épinette. L'instrument n'a pas de manche, en tout cas jusqu'au XVIIème siècle au mois, ce qui en fait une cithare sur le plan organologique. Des cordes sympathiques peuvent être tendues à l'intérieur de la caisse. Pour plus de détails sur cet instrument, voir l'ouvrage en deux volumes de Adkins et Dickinson publié en 1991, voir la partie bibliographie de cette section ici).

Détail d'une peinture murale de l'ancien palais épiscopal de Beauvais, vers 1313. Pas d'archet dans cette représentation très ancienne, et un jeu "du bon côté" des cordes.

Peinture murale, église de Tierp en Suède, vers 1470. Jeu à l'archet comme une vièle (photo JF Mazet).

Détail du "portrait de Francesco Gabrielli, Carlo Biffi, gravure de 1633

Portrait de Francesco Gabrielli, Carlo Biffi, gravure de 1633

Ci-dessous, une représentation de 1633 : au milieu de nombreux instruments, on en distingue un muni d'un archet qui s'apparente plus à un Scheitholt qu'à une trompette marine : l'instrument possède manifestement un système de frettes et non pas seulement des traits de repères sur la table comme c'est le cas habituellement sur les trompettes marines. Cela confirme les liens étroits qui existent entre le Scheitholt et la trompette marine.

Johannes Aventinus,"Musicæ Rudimenta", Augsburg (1516).

On peut consulter 'intégralité de l'ouvrage ici

Johannes Aventinus décrit le monocorde en 1516 au chapitre VIII de son ouvrage "Musicæ Rudimenta" en mélangeant allègrement le latin et l'allemand :

"Le monocorde signifie mono en grec qui veut dire une et chorda, c'est-à-dire la corde pesant sur le chevalet (pund clavis) : trompette marine (drumelscheid ).

Le tétracorde, qui a quatre cordes pesant sur des chevalets (vier saitten / pund /claves) / l'hexachorde, qui a six rayons de fils /pointe en laiton / une crête sur laquelle les cordes reposent / un trou en étoile comme sur un violon commun ou un luth tortue / un quadrilatère oblong plus grand en haut qu'en bas /.

Le monochorde est un quadrilatère oblong dont la tête est comme celle d'un violon / qui a deux crêtes / une à droite qui est plus haute (superius) / et une à gauche qui est plus basse (inferius) / sur lesquelles un nerf ou rayon d'airain ou de fer (repose) d'où le nom de l'instrument. Au niveau de la crête inférieure il y a un trou comme dans une tortue (luth?) / qui rend le monochorde plus sonore.

L'inventeur en serait Pythagore".

Voir ci-dessous l'original.

Il est difficile de dire si Aventinus nous décrit des trompettes marines ou autre chose. Le terme "Trumscheit" ou "Drumelscheid" était couramment utilisé pour désigner les monocordes, et vice versa.. Les illustrations ne nous aident pas beaucoup, même s'il est tentant (comme le fait Wilfried Ulrich, 2011) d'y voir des stades précoces de "Hummel". À noter que le même Wilfried Ulrich (2011, page 16) se trompe probablement en voulant voir dans la troisième figure l'envers d'un Hummel qui montrerait une barrette de renfort pour permettre à la table de mieux supporter la tension des cordes : à mon avis, il s'agit plutôt d'une caisse destinée à ranger l'instrument représenté juste en dessous (à noter la présence d'un crochet sur le bord inférieur de la boîte qui pourrait servir à bloquer un couvercle).

La trompette marine devient Scheitholt?

Détail de La Grande Singerie, allégorie de l'Asie, Château de Chantilly, attribué à Christophe Huet, 1737,

Une représentation plus tardive, datant de 1737, sur laquelle on distingue parfaitement les frettes, la caisse de forme parallélépipédique et une grande ouïe ronde ornée d'une belle rosace. Le singe joueur en joue comme d'une basse alors que le jeu habituel de la trompette marine se fait sur les harmoniques naturelles (la corde étant frottée par l'archet sur l'autre partie, c'est-à-dire entre le chevillier et le doigt posé). Alors,  trompette marine? ou autre chose (psalmodikon, Scheitholt ou Hummel...?)

Citons encore Mersenne:

"[...] les chevilles G servent à bander& à desbander ces trois cordes, afin de les mettre à l'unisson, soit qu'on les fasse d'intestins des moutons ou de leton [...]"

"Et si l'on veut renforcer le son des chordes, l'on peut faire quelque ouverture sur la table, ou aux costez du Monochorde, semblable à la rose des Luths, ou à l'ouye des Harpes ou des Violes, comme l'on peut user de chevilles de fer semblables à celles des Epinettes, afin de les bandez avec un marteau."

"Quoyqu'il en soit, il suffit que l'on trouve toutes sortes d'intervalles, & de degrez dans leur iustesse sur le Monocorde, de quelque matière qu'il soit, & de quelque figure, ou quelque nombre de chordes qu'il puisse avoir, car le nombre des chordes n'empesche pas que l'on ne l'appelle Monochorde, par ce qu'elles sont toutes à l'unisson, quoy qu'il importe fort peu quel nom l'on luy donne, pourvu que l'on en entende l'usage & la pratique."

Le monocorde décrit par Mersenne possède toutes les caractéristiques essentielles de notre cithare favorite:

Une caisse de résonance, qui peut être percée d'un ouïe, avec plusieurs cordes en laiton (ou en boyau) tendues parallèlement à la table, au moins l'une de ces cordes sonnant à vide alors qu'au moins l'une des autres est pourvue d'un système de 24 chevalets fixes définissant une gamme diatonique. Bref, c'est une épinette ou un langeleik que Mersenne nous décrit."

Marin Mersenne, 1636, extrait du quatrième livre de l'harmonie universelle

Il semble que le frettage soit déjà germe dès le monocorde. On sait que le monocorde est utilisé avec  un chevalet mobile que l'on glisse sous la corde pour définir les longueurs de vibrations désirées. Ou ce chevalet mobile n'est ni plus ni moins qu'une frette mobile, placée successivement sur chacune des marques de la table qui concrétisent la division de la corde.

Mersenne, qui écrit en 1636, donc à une époque où les cithares de type Scheitholt existe déjà, mais qui décrit un monocorde connu de longue date, donne l'impression que l'utilisation d'un tel chevalet mobile n'a pas toujours été la seule technique utilisée, et qu'un système de chevalets fixes marquant les divisions était bien connu.

Le texte se réfère à la figure (A)

"Soit donc le Monocorde I G L, de telle longueur & largeur que l'on voudra, sur lequel la chorde A B soit attachée en haut à une pointe de fer, & en bas à la cheville G, afin qu'elle montre tous les intervalles de la Musique par le moyen de 24 chevalets, au lieu desquels l'on peut user d'un seul en le menant tout au long de la chorde depuis les deux chevalets immobiles A C & B D, qui determinent la longueur de cette chorde [...]" Puis, plus loin : "En second lieu, il faut remarquer que la seconde chorde F qui est au milieu, n'a nulle division, afin qu'elle représente toujours le son entier, & qu'elle sonne à vide contre toutes les divisions des deux autres chordes, & quant [& quant] que l'on s'imagine plus aysément que les 48 chevalets immobiles de ces deux chordes peuvent être suppléez par un seul chevalet mobile, que l'on pourmeine souz la chorde F: par où l'on void que le mouvement est le grand ressort de la nature, & qu'il peut autant qu'une  infinité de corps."texte ici ...

(A) Le monocorde du Père Mersenne, 1636, extrait du quatrième livre de l'harmonie universelle

Le monocorde de Mersenne (1636) - Une épinette!

Aksdal, Bjørn et Kvaern, Elisabeth: "Langeleiken - heile Noregs instrument", Novus, 2022

Adkins, Cecil et Dickinson, Alis : "A trumpet by any other name : a history of the trumpet marine", deux volumes, éditions Frits Knuf, Buren, Pays-Bas, 1991

Boone, Hubert : "De hommel in de Lage Landen", Instrumentenmuseum en Musicological Research Association (MRA), Bruxelles, 1976

Meyer, Christian : "Mensura monocordi - la division du monocorde (IXe - XVe siècles)", Publications de la Société Française de Musicologie, éditions Klincksieck, Paris, 1996

Bibliographie de cette section

Panum, Hortense : "The Stringed Instruments of the Middle Ages - their evolution and development", W. Reeves Bookseller ltd, London, 1939. Consultable ici

Ringve Museum : "Leve langeleiken!", Ringve Museum, 1987

Ulrich, Wilfried : "Die Hummel - Geschichte eines Volksmusik-Instrument", Museumsdorf Cloppenburg, 2011

Walin, Stig : "Die Schwedische Hummel - Eine instrumentenkundliche Untersuchung", Nordiska Museets Handlingar: 43, Stockholm, 1952. Consultable ici.

Deux histoires alternatives de l'épinette

Jean-Chien Haute Chaise

(alia Jean-Loup Baly)

La véritable légende de l'épinette des Vosges

Gigue, revue de folk, numéro 8, 1975, pages 16 à 19

Jean-Loup Baly

Légende de l'épinette des Vosges

Gigue, revue de folk, numéro 6, 1974, page 13