PSALMODIKON

Palmodikon ou notstock, spelstock, psalmonikum, salmedunk, salmedunken, salmodikon (en Suède et Norvège), virsikannel ou virsikantele (en Finlande), moldpill ou mollpill (en Estonie), vienstīdzis or manihorka (en Lettonie), manikarka (en Lituanie) etc. Il s'agit d'un instrument à une seule corde mélodique en boyau (certains en possèdent deux), des cordes sympathiques plus ou moins nombreuses peuvent être présentes de chaque côté de la corde mélodique ou tendues à l'intérieur de la caisse. L'instrument se joue exclusivement à l'archet et présente une touche entièrement chromatique positionnée au centre de la table d'harmonie. Les notes sont formées en appuyant sur la touche avec les doigts de la main gauche, mais certains instruments à clavier ont été développés. L'instrument le plus répandu est le modèle suédois, qui a une touche entièrement en bois de type en dents de scie (ou marches d'escalier). Il s'agit d'un instrument qui se veut simple à jouer, facile à fabriquer, mis au point et perfectionné au début du XIXème siècle par différents pédagogues et religieux en Allemagne, au Danemark, en Norvège et en Suède (pays où il connut le plus grand succès). Les émigrants norvégiens et suédois l'ont transporté aux USA où il a encore aujourd'hui de nombreux adeptes réunis en associations. On saura tout grâce aux sections suivantes en cliquant sur les boutons violets!

Cliquer sur la photo d'un des psalmodikons ci-dessous pour accéder à un galerie de photographies de détails du psalmodikon choisi.

Plein de photos (de détails) de trois psalmodikons suédois anciens!

On trouvera ici les photos des trois psalmodikons suédois de ma collection personnelle, ainsi que d'un psalmodikon conservé dans un musée de Stockholm (Skansen). On pourra en voir beaucoup d'autres sur le site du MIMO ICI

Ce psalmodikon, probablement du XIXème siècle, possède, outre la corde en boyau au dessus de la touche, douze cordes sympathiques réparties en deux groupes de six de chaque côté de la corde mélodique, chacune accrochée d'un côté de l'instrument à un petit plot en bois noirci et de l'autre côté à une clef d'accordage également en bois noirci.

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Psalmodikon 1

Un instrument plus rustique que le précédent, datant probablement aussi du XIXème siècle, avec des ouïes rappelant celles d'un violoncelle, et des vis et clous pour tendre quelques cordes sympathiques; l'accordage de ces cordes sympathiques ne pouvait être que très approximatif. À noter le système anti-retour de la clef d'accordage de la corde en boyau, rudimentaire (des clous placés tout autour, cette couronne étant couplée à un cran d'arrêt mobile) mais efficace.

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Psalmodikon 2

Un instrument manifestement plus moderne, milieu du XXème siècle? Il présente deux particularités : la présence d'un guide-archet - un petit bâtonnet fixé à la verticale de la table - et la présence de cordes sympathiques invisibles car situées à l'intérieur de la caisse de résonance, accessibles en déclouant le fond (plaque fine de contreplaqué).

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Psalmodikon 3

Instrument conservé au musée de  plein air de Skansen à Stockholm. Il provient de Nöbbele dans la province de Småland en Suède,, et date du milieu du XIXème siècle. Une corde mélodique entourée de deux groupes de six cordes sympathiques. D'un côté de la touche typique en bois et en forme de crémaillère se trouvent les restes d'une bande de papier collée portant le chiffrage des cases de la touche. Voir aussi ici.

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Psalmodikon 4

Quelques musiciens en action

Nils Johan Andersson, Sjöland, Vilhelmina kommun, Västerbotten (Suède), 1960, photo Lennart Sehlin

Johannes Bergendahl, Geta (SE),Ålands Museum, coll. Elis Fogdes

Jonas Erik Larsson, Marsliden, 89 ans en 1942 (Västerbotten, Lappland, Suède); photo Dahlberg, Vihlemina kommuns fotoarkiv

Inconnu, (Estonie), carte postale de 1979

Psalmodikon à manche, deux façons de tenir l'instrument. La photo de groupe suggère que le psalmodikon était aussi utilisé comme instrument de musique populaire et pas seulement comme accompagnement des psaumes. Origine et lieu des photos inconnus. Repises du site de Magnus Fredelius, www.psalmodikon.info

Musiciens estoniens. Ajaloo Museuum - Musée estonien de la Musique et du Théâtre - Ajaloomuseuum,Tallinn, Estonie.

Psalterer - XVIIème et XVIIIème siècles

Un instrument similaire au psalmodikon a existé dès le milieu du XVIIème en Angleterre et a subsisté au moins jusque dans le premier quart du XVIIIème siècle: le psalterer ou psalmody. Son invention est attribué à John Playford (1623-1686). Exactement comme le psalmodikon, l'instrument a été crée pour accompagner les psaumes dans les églises qui n'avaient pas d'orgue, et comme instrument pédagogique pour améliorer le niveau et la qualité du chant des fidèles. Aucun instrument ne nous est parvenu, ni aucune représentation, mais l'instrument est connu par plusieurs mentions et une description dans "The Psalmody", ouvrage publié par Henry Playford en 1699 et une autre dans un ouvrage de Leman intitulé "A New Method of Learning Psalm-tunes with an Instrument of Music called the Psalterer" publié en 1729. En 1725, Sherwin donne une autre description très détaillée d'un monocorde mais sans le nommer, et indique précisément comment le construire (dans son ouvrage "An Help to the Singing of Psalm-tunes, with Directions for Making an Instrument with One string"). Ces descriptions du début du XVIIIème siècle sont reprises dans l'article de Jeans (1987, consultable sur ce site, voir bibliographie de cette section). L'instrument possédait deux cordes accordées à l'octave l'une de l'autre et tendues au dessus d'une touche frettée dont qui comportait des lettres; l'instrument était joué comme une basse de violon. Leman proposa de rajouter une troisième corde accordée à la quinte de la corde la plus basse. Pour jouer une mélodie donnée, l'instrumentiste n'avait qu'à suivre la séquence prédéfinie de lettres correspondant à ladite mélodie et former au fur et à mesure les notes en posant les doigts sur les frettes comportant les lettres correspondantes. Ce système de notation est basé sur le même principe que la notation chiffrée employée pour le psalmodikon.

Psalmodikon - XIXème siècle

Frontispice de la première édition de "Melodierna till Swenska Kyrkans Psalmer - noterade med siffror, för Skolor och Menigheten ", de Johan Dillner, publié à Stockholm en 1830.

La notation chiffrée n'était pas une nouveauté. Jean-Jacques Rousseau déjà,  dans un mémoire présenté à l'Académie des sciences le 22 août 1742 (intitulé "Projet concernant de nouveaux signes pour la musique", voir le document ici), est en faveur d'une simplification de la notation musicale et propose un système de notation chiffrée assez semblable à celui qui va se développer pour le monocorde de Bade et le psalmodikon ensuite. À noter qu'un système de notation chiffrée a été aussi en vogue pour le langspil en Islande au milieu du XIXème siècle, voir sur ce site ici la section consacrée au langspil), ainsi que pour l'épinette du Nord de la France, comme celles fabriquées et vendues par la maison Coupleux à Tourcoing au tout début du XXème siècle (voir ici sur ce site la section consacrée à ces épinettes).

Il semble bien que le psalmodikon, tel qu'il s'est répandu en Norvège et surtout en Suède, soit une création collective d'au moins quatre personnes actives dans quatre pays différents : l'Allemagne, le Danemark, la Norvège et la Suède (exception faite du psalterer, l'antécédent anglais du XVIIème siècle, voir ci-dessus).

D'abord, Gottlieb (Wilhelm Peter) Bade (1786 - 1848), un organiste de Leussow (région de Mecklenburg, au nord de l'Allemagne) soucieux du bon apprentissage par les enfants de la musique et du chant, construisit un monocorde peu avant 1820. Dans le même temps, le pasteur Carl Georg Studemund publia en 1822 un livre intitulé "Antiphonieen, Chöre und Gebete zum kirchlichen Gebrauch und für das Monochord", dans lequel il cite Bade et son monocorde (à la page IX du "Vorwort") et qui consiste en une méthode d'apprentissage des voix dans un chœur grâce à une notation chiffrée appliquée au monocorde de Bade (on peut consulter l'ouvrage en intégralité ici). Bade a publié deux ouvrages, "Sammlung von Liedern zur Übung im ungestimmten Gesänge nach dem Monochord" en 1823 et "Die Melodien der Mecklenburgischen alten und neuen Kirschen-Gesänge. Nebst einer Anleitung zum Selbstüben zur Unterweisung im Singen nach dem Monochord" en 1826.

L'instrument développé par Roverud avait une touche de frettes métalliques comme une guitare, placée du coté du joueur, alors que l'instrument de Dillner avait une touche entièrement en bois en forme de d'escalier ou dents de scie et placée au milieu de l'instrument. Les premiers instruments suédois n'avaient pas toujours d'ouïe(s) dans la table.

Psalmodikon norvégien. Lindesnes Bygdemuseum

Psalmodikon suédois. Kulturparken Småland, Smålands museum, photo Jörgen Ludwigsson.

En 1823, le lieutenant et maître d'école danois Jens Worm Bruun (1781 - 1836) aurait eu connaissance de l'instrument construit par Bade et aurait développé lui-aussi, sans avoir vu l'instrument allemand ni rencontré Bade, un instrument similaire qu'il aurait nommé psalmodicon (après avoir hésité entre autres entre panmelodicon et panchoralicon). Il semble donc  qu'il soit le premier à avoir donné son nom à l'instrument. Le psalmodikon de Bruun n'avait ni ouïe sur la table et ni touche frettée : on appuyait sur la seule corde directement sur la table qui portait des marques correspondant aux notes. Le tempérament n'était pas égal, puisque l'octave se divisait en 21 marques (les bémols et les dièses n'étant donc pas équivalents).

Le véritable essor de l'instrument viendra du pasteur Johan (ou Johannes) Dillner (1785 - 1862) en Suède et du musicien et enseignant Lars Roverud (1776 - 1850) pour la Norvège, qui partant de l'instrument de Bruun, développeront chacun et indépendamment un instrument. Les instruments de Roverud et Dillner ont des caractéristiques légèrement différentes.

Les quatre pionniers de cet instrument avaient tous en commun le désir de créer un instrument facile à fabriquer et à utiliser, que ce soit pour des besoins pédagogiques (enseignement de la musique aux enfants) ou des besoins religieux (facilitant l'apprentissage et l'accompagnement des psaumes). Bref, il semble bien que Bade, Bruun, Roverud et Dillner, mus par des motivations similaires, aient eu la même idée à la même époque et de façon (presqu') indépendante (et on ne saura sans doute jamais si l'un de ces personnnages avait eu connnaissance du psalterer anglais du XVIIème siècle...)

Première page de la publication du pasteur Studemund, 1822.

Monocorde qui aurait appartenu à l'organiste Bade de Leussow, vers 1820. Tiré de "Anton Saal, ein mecklenburgischer Schulmusiker des Vormärz", Hinstroff, Rostock, 1935.

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Un des apports majeur du pasteur suédois Dillner sera la publication en 1830 de la  transcription pour psalmodikon en notation chiffrée de l'intégralité du psautier alors en usage dans l'église suédoise ("Melodierna till swenska kyrkans psalmer, noterade med siffror, för skolor och menigheten", Nordstedt, Stockholm, 1830) qui aura pour effet de répandre largement son usage liturgique mais aussi domestique, accélérant du même coup sa popularité. Le psalmodikon était souvent joué en consort de quatre instruments pour jouer les psaumes harmonisés à quatre voix.

Ci-dessous, deux exemples: psaumes n° 10 et n° 18, en notation musicale sur portée dans le psautier  de 1819 (ici dans une édition de 1823), en notation chiffrée pour un psalmodikon selon la méthode de Dillner (1830) et pour quatuor de psalmodikons (1848).

Psalmodikon suédois. Deux cordes mélodiques et cordes sympathiques.

Psalmodikon suédois. Une seule corde mélodique, pas de corde sympathique.

Psalmodikon suédois, une corde mélodique, cordes sympathiques. Skansen, Stockholm., photo Skansen.

Psalmodikon suédois. Deux cordes mélodiques! Scenkonstmuseet, Stockholm., photo Hans Skoglund.

À partir des modèles d'origine, le psalmodikon, surtout en suède, va se décliner en autant de formes que d'instruments ou de fabricants.

La popularité de l'instrument va aussi s'étendre plus à l'est, en Finlande (virsikantele, virsikannel), en Estonie (moldpill, mollpill), en Lituanie (manikarka), en Lettonie (vienstīdzis, manihorka). Parallèlement à cette extension géographique, son utilisation va aussi s'élargir : d'instrument exclusivement pédagogique et liturgique, il va s'émanciper et devenir un instrument de musique populaire à part entière. 

Psalmodikon suédois. Une seule corde mélodique, cordes sympathiques.

On notera la ressemblance frappante entre ce type de psalmodikon et une épinette (modèle 2217) proposée dans le catalogue de la maison Coupleux en 1908 à Tourcoing.

À droite, deux psalmodikons à manche.

Joueur de psalmodikon. Dessin de A. J. G. Virgin, 1874.

Ola Larsson, huile sur toile, Julmorgon (Le matin de Noël), 1909, SMK -Statens museum for Kunst, Copenhague.

Psalmodikon à manche. Scenkonstmuseet, Stockholm. Photo Hans Skoglund.

Le psalmodikon va se répandre et "folkloriser" dans les campagnes de Lettonie pour donner naissance à un instrument légèrement différent, avec une touche non frettée, le divstīdzis ou la ģīga.

une ģīga, de l'atelier de lutherie Kalang

Timbre soviétique de 1991 montrant une divstīdzis ou ģīga parmi d'autres instruments populaires.

Copie du kanteleharppu, reconstruction du luthier Mikko Perkoila, http://www.roima.fi/kanteleharppu.htm

Un instrument de type monocorde à archet de même principe que le psalmodikon, mais avec un bourdon (plus court que la corde mélodique) a été retrouvé vers 1878 en Finlande, il s'agit du stråkkantele (kantele à archet) ou kanteleharppu (kantele harpe). Les frettes sont formées de petits éléments de bois collés sur la table.

Un modèle de cet instrument a été retrouvé en Finlande avant 1878 dans l'ancienne province de Carélie, à Ilomantsi socken par l'anthropologue Gustav Retzius. L'instrument est décrit aux pages 137 et 138 de son ouvrage d'anthropologie "finska kranier" publié à Stockholm en 1878.

Stråkkantele ou kanteleharppu, DScenkonstmuseet, Stockholm, photo Mikael Bodner.

Un instrument finlandais atypique

Des psalmodikons à claviers vont aussi être construits (tangentpsalmodikon en suédois), le mécanisme de touches étant proche de celui du clavicorde.

Tangentpsalmodikon, Scenkonstmuseet, Stockholm.

Tangentpsalmodikon, avec le détail du mécanisme, Ringve Musikkmuseum (Norvège), photo Mats Krouthén

https://digitaltmuseum.no/021028874068/salmodikon

Tangentpsalmodikon, Upplandsmuseet (Suède).

Tangentpsalmodikon. Photo Mikael Bodner. Scenkonstmuseet, Stockholm.

Psalmodikons à clavier

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Ces psalmodikons à clavier ne sont pas sans rappeler d'autres instruments à archet de la même époque et notamment le zither-violina (1880) - une invention du britannique William Henry Percival voir ici -, le solophone (1892) - une invention de l'allemand Ernst Böcker voir ici - et le monocorde inventé par le français Joseph Poussot de Pierre La Treiche en Lorraine voir ici.

Zither-Violina

Solophone

Monocorde de Poussot

Bibliographie et liens

Ostenfelf, Kirsten : "Psalmodikon, et dansk musikpædagogisk eksperiment", Særtryk af Musik og Forskning 4, 1978, pages 128-157. Intégralité de l'article (en danois) ici

Lund, Cajsa : "Om 1800-tals musikinstrument i allmänhet och psalmodikon i synnerhet", Kulturen 1979 (en årsbok till medlemmerna av Kulturhistoriska föreningen för Södra Sverige), 1979, pages 168-178. Consultable (en suédois) ici.

Ulrich, Wilfried : "Das Monochord des Gottlieb Wilhelm Bade - Eine instrumentenkundliche Untersuchung", Autopublication, 2020, disponible ici (site de Wilfried Ulrich).

Ravenel, Bernard : "Pierre-la-Treiche et le monocorde de Joseph Poussot", Études Touloises, 66, 1993, pages 3-14. Consultable ici

Eeg-Olofsson, Leif : "Johan Dillner, präst, musiker, mystiker", Almqvist & Wiksell International, Stockholm, 1978.

Sjöberg, Rodney : "Psalmodikon och siffernoter till heders igen", Sveriges Kyrkliga Studieförbund, Trollhättan, 1987. Consultable (en suédois) sur ce site ici.

Jeans, Susi : "The Psalterer", The Galpin Society Journal, Vol. 39, septembre 1986, pages 2-20, consultable (en suédois) sur ce site ici.

Norlind, Tobias : "Systematik der Saiteninstrumente. I. Geschichte der Zither"; Musikhistorisches Museum, Stockholm, 1936. Voir en particulier de la colonne 239 à 253. Voir ici.