Photographie Sofi Sykfont

HUMMEL (Suède)

Le hummel est un instrument aujourd'hui malheureusement oublié en Suède contrairement au nickelharpa, au violon et à la cornemuse (säckpipa), et un véritable revival ne semble pas être pour demain. La quarantaine d'instruments anciens conservés principalement dans les réserves du Scenkonstmuseet de Stockholm témoigne pourtant d'une forte implantation de cet instrument un peu partout dans la moitié sud de la Suède tout au long du XVIIIème siècle et jusqu'au tout début du XXème siècle. 

Ces instruments sont diatoniques (à l'exception notable d'un seul) et se jouaient placés sur une table, en formant les notes en pressant la touche frettée avec les doigts de la main gauche, (et pas avec un noteur), et en pinçant les cordes avec un plectre ou une plume. Le répertoire était varié, allant des airs de danses (polskas, valses, etc.) à l'accompagnement de chansons. 

On ne peut que renvoyer à l'unique mais très complète étude sur cet instrument, réalisée par Stig Walin et publiée en 1952 en langue allemande et auquelle la présente section sur l'histoire de l'instrument doit beaucoup :

"Die Schwedische Hummel"", Nordiska Museets Handlingar: 43; Nordiska Museet, Stockholm, 1952, 156 pages.

Cet ouvrage est consultable en ligne ici ou en cliquant sur la photo de sa couverture ci-dessous.

Le travail de Walin croise des informations provenant de différentes sources manuscrites ou imprimées depuis le XVIIIème siècle avec un inventaire précis de quarante instruments retrouvés et conservés en Suède qui y sont décrits de manière précises.

Éléments d'histoire (1700-1920)

Une lettre datée du 16 mars 1772 décrit assez précisément un instrument nommé långspel et indique qu'il ne s'agit ni d'une nyckelharpa ni d'une lyra (vielle à roue). L'auteur de la lettre - Sven Hof, né en 1703 - raconte qu'il en a vu et entendu de nombreux chez des paysans dans sa jeunesse (donc dans le premier quart du XVIIIème siècle, dans le Västergötland). Sven Hof indique que l'instrument est - au moment où il écrit, 1772 - devenu rare depuis que l'usage du violon s'est généralisé.

Voici ci-dessous le texte original en suédois ancien du passage de cette lettre suivi de sa traduction en français.

Un instrument de cet époque (il porte la date de 1701 et le nom de "Anders Sundbom") est conservé au Scenkonstmuseet de Stockholm. Il correspond à peu de chose près à la description donnée puisqu'il a une longueur de 835 mm, une largeur de 245 mm et est muni de 17 frettes.

Dans un imprimé de 1717 intitulé "Exercitium academicum instrumenta musica" publié à Uppsala mentionne aussi le terme långspel ("Långspel & hackspel"). Un dictionnaire de la même époque ("Swenskt dialect lexicon", Uppsala, 1766) mentionne aussi le mot mais sans en donner de définition.

Walin pense que l'instrument a pu aussi être désigné par les termes "långharpa" ou même simplement "harpa".

"Det i mitt förra bref omförmälta bond-instrumentet Långspel är icke någon nyckelharpa eller lyra, utandet består af en wid pass sex qwarter lång ljud-botten och halftannat qwarter bred, hwarpå en mässings sträng är updragen med underliggande tangenter af tjåck ståltråd 15 eller 18 til antalet. Wid bemälte sträng gå tre lösa strängar, stämde ungerfärligen i terts, qvint och octav, allenast til at brumma, när man med fingret, knäpper på den förstnämde, som gifwer de rätta toner af det stycke, som man spelar. I min ungdomsåg och hörde jag många sådana instrumenter hos bönderna, som tyckte, at det war ett förträffeligt spel. Men nu är det ganska sällsynt, sedan hos gemena man violiner mera kommit i bruk och tycke, som de ock nu endast nyttjas wid dess bröllop". (Original de la lettre publiée par A. Aulin "Sven Hof som Hülphers' musikaliske bidragsgivare", Stockholm, 1948; voir la note 4 de la page 37 du livre de Stig Walin, 1952).

L'instrument de paysan Långspel mentionné dans ma lettre précédente n'est ni un nyckelharpa ni une lyre, mais est formé d'une caisse résonnante large d'environ six quarts de long et un quart et demi de large sur laquelle une corde en laiton est rendue au dessus de frettes de fil métallique épais et au nombre de 15 ou 18. à côté de ladite corde courent trois cordes libres accordées approximativement à la tierce, la quinte ou l'octave de façon à bourdonner lorsque l'on pince la corde de laiton avec le doigt pour donner le ton juste du morceau que l'on joue. J'ai vu et entendu dans ma jeunesse beaucoup de ces instruments chez des paysans qui étaient d'avis qu'il s'agissait d'un excellent instrument. Mais aujourd'hui il est devenu assez rare depuis que l'usage des violons s'est généralisé parmi le peuple qui les apprécie, et qui les utilise eux-seuls lors des mariages. (Traduction de JF Mazet).

Un "kvarter" suédois ancien correspond à 148,45 mm. L'instrument décrit par S. Hof a donc environ 890 mm de long sur 223 mm de large.

Un hummel daté de 1701 et portant le nom de "Anders Sundbom",  Scenkonstmuseet , Stockholm, numéro d'inventaire N42334; photo Sofi Sykfont, voir ici. Référencé G9 dans l'ouvrage de Walin.

Le hummel suédois le plus ancien qui soit conservé semble celui conservé au Länsmuseet de Gävleborg à Gävle. Une étiquette collée à l'intérieur de la caisse de résonance indique : "Torsåken 1700" ce qui semble indiquer le lieu et la date de sa fabrication. Ci-dessous, une galerie de quatre photos de cet instrument. Plus de photos et d'information ici.

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Il semble qu'à son apparition en Suède, le hummel ait eu une caisse de résonance simple avec un renflement unique sur le côté externe le plus éloigné de la touche.

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À la fin du XVIIIème siècle, on retrouve la trace de l'instrument dans un milieu plus cultivé et bourgeois, mais cette fois sous le nom de "hummel" (à noter que ce terme vient directement de l'allemand Hummel et a été repris tel quel en Suède). On retrouvera sa trace sporadiquement au cours du XIXème siècle sous cette même appellation (parfois "humer" ou "hommerspel"). 

Voici par exemple un hummel portant la date de 1781 et le nom "Margareta Holm" ainsi qu'une formule de menace de mauvais sort rimée destinée à un éventuel voleur : "Den som denne Humer sjel han skal j 8 dagar eta hö och på 9de dagen i galjen dö" (celui qui vole ce "humer", il mangera du foin pendant 8 jours et le 9ème jour, il mourra sur la potence).       

Mais la pratique du hummel a vite décliné, et on ne connaît qu'un seul joueur au début du XXème siècle, qui se produit au musée de plein air Skansen à Stockholm. Il s'agit d'Otto Malmberg.

Otto Malmberg utilisait une technique particulière qui consistait à dédoubler les chanterelles et en doublant la mélodie jouée avec le pouce sur la première corde à la tierce inférieure sur la deuxième corde avec l'index, à deux frettes de distance vers la gauche. Otto jouait ainsi tout ou partie d'un morceau en tierce parallèle. Son répertoire était composé de musique de danse (valses, polskas) et de chansons qu'il chantait lui-même en s'acccompagnant de son hummel.

Otto Malmberg est né à Ljungby en 1848 en Småland, province du sud-est de la Suède. Il passera la plus grande partie de sa vie comme peintre-décorateur dans le sud de la Suède entre les provinces de Småland et de Skåne, avant de s'installer provisoirement (de 1905 à 1908) puis définitivement à Stockholm en 1911 où il mourra en 1921. 

Il se produira au musée Skansen de Stockholm durant l'été 1908, l'été 1915 et l'été 1917 sous le nom d'artiste "Otto Hyll från Värend". En 1908, l'ethnomusicologue Yngve Laurell l'enregistrera sur son phonographe (trois polskas et une valse ont été notées d'après ces enregistrements par Stig Walin qui les reprend à la page 155 de son ouvrage - ces airs peuvent être entendus sur le 33 tours publié en 1975 et le CD publié en 1999, voir plus bas). À l'été 1917, c'est l'historienne danoise de la musique Hortense Panum qui le rencontre, documente son jeu et note quelques airs.

Une liasse de feuilles volantes portant des notations musicales et le titre "Melodier från Sjösås s:n, spelade af E. V. Blomgren på "Hommerspel". Tillhör nämde instrument i Smålands museum N:o 1882. Upptecknade av Direktör A. Wiedman".  L'instrument a été fabriqué vers 1832 par un cordonnier nommé Isak Sandahl habitant à Sjösås pour un adolescent de 14 ans, E. V. Blomgren,  probablement Erik Vilhelm Blomgren. Le document contient trois mélodies notées, une polska et deux autres mélodies de danse, qui figurent également à la page 156 de l'ouvrage de Walin.                     

L'instrument joué par E. V. Blomgren et conservé au Smålands museum, numéro d'inventaire L 1882-a. Photo Jörgen Ludwigsson. Voir ici..

Instrument portant la date de 1781 et le nom de Margareta Holm et une formule rimée de dissuasion d'éventuels voleurs. La rosace est en parchemin ajouré. Conservé au Scenkonstmuseet à Stockholm, voir ici numéro d'inventaire N9213. Photo Sofi Sykfont.

Un autre instrument intéressant est un hummel à double touche, permettant un jeu entièrement chromatique, fabriqué en 1791 par l'atelier de lutherie de H. Langborg et And. Roth à Hälsinsborg. L'instrument a été celui de Johanna Roth, la fille de l'un des luthiers, qui en joua jusquà sa mort en 1865 et qui semble avoir été une virtuose de l'instrument., comme on peut le déduire des commentaires élogieux de Carl Erik Södling dans son oeuvre manuscrite jamais publiée  "Svenska Folkmusikens Historia och kultur-historika betydelse. Undersökningar 1:A Afdelningen" datant de 1875 :

"Hennes spelsätt var dramatiskt, förtäljande derunder historiska händelser, imiterade trumpet och trumma, deklamerade och sjöng [...]"; (Son style de jeu était dramatique, contant des évévenements historiques, imitant la tompette et lke tambour, déclamant et chantant...)

"Ända till sitt sista lefnadsår utöfvade hon sin konst, såsom virtuos på hummel: spelade, sjöng, deklamerade och talade under tiden uti hvad hon ütförde [...] Johanna jemte sin hummel var en välkommen gäst i hvarje hus; kallades ofta att roa sällskapslifvet. Från hennes föredrag säges egentligen härstamma den sedan bekante "Stenbockens marsch"".  (Jusqu'à la dernière année de sa vie, elle a exercé son art virtuose au hummel tout en  jouant,  chantant, déclamant et parlant [...] Johanna avec son hummel était une invitée bienvenue dans chaque maison; eölle était souvent appelée pour agrémenter la vie sociale. On dit que la marche du bouquetin devenue bien connue provient de ses représentations).        

L'instrument fabriqué par les luthiers H. Langborg et And. Roth à Hälsinsborg en 1791 et joué par Johanna Roth jusqu'en 1865. Voir ici..

Vers la fin du XVIIIème siècle et au XIXème siècle, une nouvelle forme de l'instrument apparaît : une sorte de deuxième caisse de résonance se dégage depuis la partie inférieure de l'instrument, qui peut être présente d'un seul côté ou des deux côtés, avec un seul renflement rappelant la forme d'un cistre ou un renflement double rappelant alors plutôt la forme d'une caisse de guitare.

Hummel du XIXème siècle, Scenkonstmuseet de Stockholm, photo Hans Skoglund. Inventaire N31933. Voir ici.

Hummel de 1795, Scenkonstmuseet de Stockholm, photo Sofi Sykfont. Inventaire N77200. Voir ici.

Hummel de 1838, Scenkonstmuseet de Stockholm, photo Sofi Sykfont. Inventaire N105289. Voir ici.

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L'instrument d'Otto Malmberg conservé au Scenkonstmuseet à Stockholm, numéro d'inventaire M3105. Photo Sofi Sykfont.

Otto Malmberg photographié au musée de plein air Skansen à Stockholm en 1917 avec son hummel.

Disque 33 tours sorti en 1975 chez CBS sur lequel figurent six morceaux joués par Otto Malmberg sur son hummel. ¨Äldre Svenska Spelmäm", Volym 2, CBS 80752, 1975

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On peut y entendre : Polska från Sunnerbo (Småland) / Polska från Småland / Visa "Det var en söndagsmorgon"/Visa "Vid foten av (Alpen) fjället" /Vals från Småland /Visa "Mandom, mod och morsk e män" /Sjömansvia "En visa vill jjag sjunga"

Le contenu audio concernant le hummel est le même (CD 3, plages 34 à 41) que celui de disque 33 tours de 1975 avec un enregistrement supplémentaire, une polska (Polska från Västbo).

Coffret de trois disques (CD) sorti en 1999 chez Caprice sur lequel on peut entendre les  morceaux joués par Otto Malmberg sur son hummel. Collection Musica Sveciae, Folk music in Sweden, Äldre Svenska Spelmäm, P2, Caprice Records, CAP21604, 1999.

Otto Malmberg et son hummel. Vers 1920? Photo reprise de l'ouvrage de Tobias Norlind, "Systematik der Saiteninstrumente, I. Geschichte der Zither", Musikhistorisches Museum, Stockholm, 1936.

Dessin de Jean-François Mazet, 2024. Crayons de couleur, gouache et feutres sur papier, 42 x 30 cm.

Otto Malmberg lors de l'enregistrement par l'ethnomusicologue Yngve Laurell vers 1915-1917.

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Hummel conservé au Smålands museum à Växjö muni d'une touche en bois "en escalier" chromatique typique du psalmodikon. À noter la présence d'une série de paires de petits trous sur cette touche en bois qui témoignent de l'emplacement d'agrafes (disparues ou jamais installées?) correspondant à l'échelle diatonique habituelle du hummel. Voir ici.

Psalmodikon conservé au Västergötlands museum qui présente une forme rappelant fortement celle du hummel dans sa variante la plus répandue; numéro d'inventaire 1M16-41966:1-2, voir ici.

Le psalmodikon qui apparaît en Suède vers 1830 et qui connaitra un grand succés (voir sur ce site ici) et le hummel encore bien présent ont ça et là fusionnés pour produire quelques instruments atypiques, sortes d'hybrides présentant certaines caractéristiques communes aux deux instruments à la fois.

Hummel conservé au Scenkonstmuseet de Stockholm lui-aussi muni d'une touche en bois "en escalier" chromatique typique du psalmodikon. Photo Sofi Sykfont (à gauche) et JF Mazet (à droite). Numéro d'inventaire N12347. Voir ici.

Tentatives de revival (1950-1990)

Dans les années 1950, Gösta Klemming s'est intéressé au hummel lors d'une visite au musée de Växjö, et a vainement tenté de susciter l'intérêt d'un plus large public pour cet instrument. Ses efforts sont restés vains et le hummel est retombé dans l'oubli.

Gösta Klemming fait un démonstrtaion du jeu du hummel en février 1957 dans le cadre d'une exposition au Smålansmuseum de Växjö. Photos Jan Erik Anderbjörk, collection du Kulturparken Småland/Smålands museum. Numéros d'inventaire JEAK08784, JEAK08785, JEAK08783.

Gösta Klemming jouant d'un de ses trois instruments sous le regard de son fils en 1966. Photo Bols, publié dans Katrineholms-kuriren du 17 février 1966.

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Dans les années 1980, Anders Eklundh a lui aussi essayé de remettre le hummel à l'honneur en Suède. Le hummel sur lequel il joue a été fabriqué par Ingvar Jörpeland d'après une photo d'un instrument du livre de Stig Walin.

Une émission de 1984 à la radio suédoise (SR, Sveriges Radio) : 25 minutes consacrées au hummel avec comme invité Anders Eklundh qui explique ce que l'on sait de l'instrument et qui joue de nombreux morceaux, dont quelques-uns tirés des répertoires repectifs d'Erik Vilhelm Blomberg et d'Otto Malmberg. À écouter ici.

Malheureusement, avec la disparition de Anders Eklundh en 2007, le hummel est à nouveau retombé dans un oubli dont il n'était pas vraiment sorti...

Un extrait du disque 33 tours de 1986 "Gammelharpa, säckpipa, hummel" sur lequel Anders Eklundh joue trois morceaux de hummel., dont une "polonäs ur en notbok från Sexdrega" (Polonaise tirée d'un recueil de Sexdrega) qu'on peut écouter ici.

Anders Eklund en mai 1981. Photo Per-Ulf Allmo.

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Bibliographie de cette section

Walin, Stig : "Die Schwedische Hummel - Eine instrumentenkundliche Untersuchung"; Nordiska Museets Handlingar: 43, Nordiska museet, Stockholm, 1952, 158 pages. Voir ici.

Norlind, Tobias : "Systematik der Saiteninstrumente. I. Geschichte der Zither"; Musikhistorisches Museum, Stockholm, 1936. Voir en particulier de la colonne 260 à 266. Voir ici.

Eklundh, Anders : "Hummel - ett bortglömt folkinstrument"; Sörmlandslåten, n° 1, 1983, pages 11-16, voir ici.

Klemming, Gösta & Eklundh, Anders : "Hummel , hummel..."; Sörmlandslåten, n° 2, 1983, page 3, voir ici.

Panum, Hortense : "The stringed instruments of the Middle Ages; their evolution and development"; éditions W. Reeves, London, 1939. Voir en particulier de la page 241 à 291. Voir ici.